Christophe Sainzelle : « La double vie de Pete Townshend »

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2 juin 2017 par Vincent Mondiot

   Il y a une semaine ou deux, pour la toute première fois de l’histoire de ce blog, un écrivain m’a contacté pour savoir si je voulais parler de son livre.
Je te l’avais déjà dit, mais des demandes comme ça, j’en reçois facile une par semaine en ce qui concerne les groupes. Généralement je ne réponds même plus, pour des raisons de connardise de ma part, mais là, je ne sais pas… L’idée de recevoir mon premier « envoi presse » littéraire, ou l’envie incroyablement généreuse et désintéressée d’aider un brave p’tit gars qui débute, j’en sais rien, mais j’avais envie de répondre présent.
Surtout que le livre dont il était question s’appelle La double vie de Pete Townshend. Donc forcément, j’étais un peu intrigué.
Par contre, dès le mail de réponse envoyé, une peur affreuse s’est emparée de moi : et si le livre était nul à chier ? J’allais être obligé d’au moins le dire à son auteur, Christophe Sainzelle, pour justifier l’absence d’article sur mon blog. Je ne me voyais en tout cas pas écrire une critique horrible sur le premier roman d’un écrivain encore inconnu. Etant moi-même à sa place de temps en temps (check mon Instagram, on retourne aux affaires, bâtard), il était hors de question que je le taille en pièces juste pour jouer au critique littéraire… Mais merde, on avait échangé des mails, quoi. Je ne pourrais pas simplement rester silencieux et laisser son roman prendre la poussière au fond de mes étagères… Ca allait être super gênant.
Ma peur n’a fait que s’amplifier lorsque j’ai commencé à me renseigner, et que j’ai découvert l’horrible couverture dont ce roman a tristement été affublé, ainsi que la page internet de l’éditeur, Territoires Témoins, qui est probablement le site le plus mal programmé où je me sois promené ces derniers mois (à l’exception de quelques sites russes qui compensent la présence de malwares par du contenu de qualité exceptionnelle, comme chacun le sait).
Bref, je commençais à me préparer à une situation super awkward à base de « oui, Christophe, j’ai bien lu ton livre, mais en fait c’est pas trop mon style, alors finalement je suis pas sûr d’en parler, mais merci, hein ».
Sauf que comme tu l’as déjà compris vu que t’es en train de lire mon article dessus (365 mots, toujours pas un sur le roman lui-même, on est bien dans un article de Survivre la Nuit), bah en fait, La double vie de Pete Townshend s’est avéré être un super roman, et donc j’ai pas eu à renvoyer de mail à son auteur. D’ailleurs, il est probablement en train de découvrir cet article en même temps que toi, là tout de suite. C’est pas cool ça ?

   Première chose importante : La double vie de Pete Townshend n’est absolument pas un livre documentaire sur le leader de The Who (pour ça, penche-toi plutôt sur son autobiographie), ni un livre du type « maintenant on peut le dire », ni même un roman centré autour de lui. Même si tu ne connais pas grand-chose à la carrière du groupe, à partir du moment où tu as une vague idée de ce qu’est un groupe de rock, ça va, tu peux apprécier le roman.
Celui-ci parle en réalité de David Barrette, un jeune con né à la fin des années soixante dans l’Aisne, au Nord de la France. Un jeune con tristement ordinaire, sans qualités ni talents particuliers, qui déteste son quotidien, comme tous les autres jeunes cons qui l’ont précédé et qui le suivront. Mère qui fait de fréquents allers-retours entre la folie et la stabilité mentale, père qui gère très mal son autorité, famille ni riche ni pauvre, ville ennuyeuse, peu de potes à l’école, un blouson dégueulasse que ses parents le forcent à porter… La vie du pauvre couillon de base, quoi.
   Mais à l’entrée de l’adolescence, David a une soudaine épiphanie, durant sa toute première écoute quasi-accidentelle d’un disque de The Who. Comme tant d’autres pauvres couillons avant lui, le rock va le dépuceler, le changer, le sauver. D’un seul coup. A tel point qu’immédiatement, le gamin qu’il est encore va se construire tout un délire pour tenter de se faire croire que, peut-être, son véritable père est en réalité Pete Townshend. Après tout, le groupe était en tournée en France à peu près au moment de sa conception, et sa mère était femme de chambre dans un hôtel où ils ont peut-être séjourné, alors, qui sait, Pete Townshend, DSK, toi-même tu sais…
Bon, en vrai, m’est avis que lui-même n’y croit jamais véritablement, à son délire, mais au moins, ça va lui permettre d’un peu relever la tête, de se trouver une passion, et de remettre de la couleur dans un quotidien qui en manquait singulièrement.

   La double vie de Pete Townshend est donc un roman qui parle à la fois de l’enfance et de l’adolescence, mais aussi de ce que c’est que d’être un fan de rock né dans le mauvais pays. Ca parle de ce que c’est que d’être le gosse le plus naze de son collège. Ca parle de comment ne pas draguer des filles lorsqu’on a quinze ans. De comment voler les anti-dépresseurs de sa mère tarée pour se défoncer. De comment acheter sa première guitare avec l’argent gagné durant l’été à bosser entouré de cas sociaux de trente ans ses aînés, sortes de reflets inquiétants de ce qu’on risque de soi-même devenir. Ca parle d’espoirs, d’ambitions, de déceptions. Ca parle de ce sentiment super difficile à exprimer, cette sensation de valoir mieux que soi-même. D’être destiné à de grandes choses, tout en se sachant, au fond, indigne de les obtenir.
   Et surtout, La double vie de Pete Townshend parle de tout ça extrêmement bien.

   Pour un premier roman, c’est une sacrée réussite. Christophe Sainzelle a une plume efficace, et une maîtrise de l’humour qui m’a fait physiquement rire à plusieurs reprises. Parce que, ouais, ça ressort peut-être pas trop de ce que je t’ai déjà dit, mais en fait La double vie de Pete Townshend est avant tout extrêmement drôle. David, son héros, passe son temps à agir comme le dernier des débiles, mais est pile assez intelligent pour s’en rendre compte. Ce qui l’enfonce dans une spirale sans fin d’actions absolument stupides et de regrets immédiats qui entraînent d’autres décisions discutables. Notamment avec les filles, sujet sur lequel David est aussi actif que pathétique. Exemple par le verbe de l’humour qu’il y a dans l’écriture de Christophe Sainzelle :

   « Je n’étais pas catholique, même pas baptisé, mais l’idée d’une nouvelle famille m’a intéressé. Muriel, l’une des filles, jolie petite rousse timide et empruntée, rougissait dès qu’on l’interrogeait. Elle bégayait légèrement en me regardant, m’envoyant un subtil message.
   A la réunion suivante, quinze jours plus tard, elle n’est pas venue. Elle avait de gros problèmes psychologiques, a dit sa cousine, qui faisait aussi partie de notre groupe. Muriel entendait des voix et s’imaginait possédée par le diable. Elle n’allait plus en cours et voyait un psychiatre. Il lui donnait des calmants puissants. En échange de quoi, elle passait ses journées prostrée dans sa chambre. Plus de doute possible, elle était pour moi. »

   Bref, La double vie de Pete Townshend est « coming of age » façon Nord de la France circa 80, et sa toile de fond aux accents rock est pile assez importante pour en faire un livre de choix pour quiconque aime cette musique, et pile assez secondaire pour qu’en réalité n’importe qui puisse kiffer ce chouette premier roman.
   Pour commander ça, tu vas sur le site de l’éditeur, ou sur Amazon si t’es en mode j’m’en bats les couilles.

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