Can’t Swim : « Fail You Again »
126 mars 2019 par Vincent Mondiot
C’est toujours bizarre, les rencontres musicales. Ce moment où tu découvres un groupe que tu ne connaissais pas et où, en quelques secondes, parfois même avant d’avoir écouté la moindre note, tu « décides », pas très consciemment, de l’adopter ou non. Il suffit pour ça d’un nom qui te parle, d’une pochette, peut-être juste qu’il t’ait été conseillé par une personne que tu aimes bien, ou que tu l’aies diggé au bon endroit au bon moment, alors que t’avais envie de faire de la place pour une nouvelle oeuvre dans ton entrepôt mental.
Dans ma vie de boulimique de disques, j’ai écouté des centaines, des milliers, peut-être, de groupes, parfois très mauvais, parfois très bons, souvent sans intérêt démesuré. Et la plupart d’entre eux, finalement, ne sont plus aujourd’hui pour moi qu’une icône jpeg minuscule dans ma librairie mp3, un album ou deux que je réécoute une fois l’an en me souvenant vaguement de pourquoi je ne les écoute pas plus souvent. Il y a des bons albums et des bons groupes, dans le lot, vraiment. Mais simplement, il n’y a pas eu ce moment dont je parlais, cette décision instinctive de les « adopter », de les laisser rentrer dans cette pièce de l’entrepôt réservé aux oeuvres qui nous définissent un peu. Le club privé des artistes qui nous aident à tracer les contours de notre propre identité.
Quand j’ai découvert la discographie de Can’t Swim il y a quelques semaines, au hasard d’internet, j’ai pris cette décision, presque immédiatement. Dès la pochette de leur premier album, Fail You Again, que tu peux voir plus haut. C’est marrant. Je crois que si j’avais commencé par la pochette de This Too Won’t Pass, leur deuxième album sorti à l’automne dernier, je ne les aurais peut-être pas adoptés, ou du moins pas si immédiatement. Ca tient à rien, ce genre de trucs irrationnels.
Mais là, j’en sais rien. Cette fille qui me regarde avec un quasi-sourire derrière son filtre vert, elle me plaît. Comme le nom du groupe. Comme le nom de l’album, reflet de celui du meilleur disque de Converge. Il ne s’agit même pas encore de musique, à ce moment-là, juste d’un groupe qui apparaît dans mon paysage et qui me dit qu’il parle la même langue que moi.
J’ai trente-cinq ans. J’écoute du rock depuis que j’en ai quatorze. J’ai accumulé des milliers de disques, littéralement. Il y a plein de groupes que j’aime, dont je maîtrise la discographie, réellement. Je peux parler de plein de sous-genres en ayant à peu près l’air crédible. Mais parmi tous ces groupes, parmi tous ces disques, parmi tous ces morceaux, combien j’en comprends vraiment ? Combien ont accès à la dernière pièce de l’entrepôt mental ? Quelques-uns, quand même : The Ataris. Thursday. PNL. Booba. Fireworks. Certains albums de Lucero, de Murder by Death, Electra Heart de Marina and The Diamonds, les premiers titres du premier album d’Hanalei… Quelques-uns. Mais pas tant que ça.
Il ne s’agit même pas là de dire « ces groupes sont les meilleurs d’entre tous ». Ce n’est probablement pas le cas. D’autres albums encore meilleurs, des milliers, sont restés à la porte du club privé, sans raisons rationnelles. C’est pas ça. C’est, simplement, les disques que je comprends vraiment. Ceux dont j’ai l’impression qu’ils me comprennent.
Et pour une raison qui me dépasse, il y a quelques mois, les deux albums et le EP de Can’t Swim sont eux aussi rentrés dans cette pièce.
Pourtant, c’est quoi, Can’t Swim ? Juste des Américains qui font du punk mélodique et abrasif, comme des centaines d’autres groupes avant eux et depuis eux. Il n’y a rien de nouveau ici, rien de révolutionnaire, rien, même, si je suis honnête, de meilleur qu’ailleurs.
Mais il y a la pochette de Fail You Again. Il y a le titre. Le nom du groupe. La voix du chanteur. Il y a les chansons Stranger, Show Me ou Molly’s Desk. Il y a le titre final, All The Moves We Make Are In The Dark. Il y a le regard de cette fille derrière son filtre vert. J’en sais rien, en fait, putain. Je n’ai aucune idée de pourquoi on aime certains groupes, de pourquoi on en trouve d’autres excellents, d’autres ignoblement mauvais, de pourquoi, parmi tous, on en adopte pourtant certains et pas d’autres. Je ne sais rien sur rien.
Mais je sais que j’aime Can’t Swim et que j’ai à leur sujet cette impression vague mais réconfortante qu’on se comprend, eux et moi.
Ça ne me semble pas bizarre, moi, que le fait que tu aimes ou non un groupe soit difficilement explicable. De mon point de vue c’est pareil pour toutes œuvres artistiques, que ce soit musique, cinéma, littérature, peinture, etc.
L’art joue avec les émotions, les sentiments des gens. Nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes choses, et quand on ressent quelque chose c’est toujours difficile de s’expliquer pourquoi. Il y a un mélange de raisons conscientes, inconscientes, liées au moment présent, au passif, au contexte. C’est trop complexe à comprendre. Et quelque part, tant mieux 🙂