Aaron Cometbus : « In China with Green Day ?!! »
Poster un commentaire13 octobre 2012 par Vincent Mondiot
Green Day ne m’a jamais passionné. Je n’ai qu’un seul de leurs albums (sans surprise c’est « American Idiot », comme la moitié de la planète), je connais leurs gros tubes, et de manière générale, j’éprouve pour eux une sympathie aussi réelle que peu impliquée.
Mon absence d’amour pour leur musique est un accident, une anomalie au vu de mes goûts habituels, qui auraient dû faire d’eux l’un de mes groupes favoris. J’imagine qu’on s’est manqués, c’est tout, ça arrive. Rien de grave.
Cependant, lorsqu’une amie m’a récemment prêté la traduction française du bouquin dont il est ici question, j’ai tout de suite été intéressé. Pas par Green Day, en premier lieu, mais par Aaron Cometbus, l’auteur. Ce nom, ça faisait des années qu’il était en bonne place dans ma liste des «trucs que je suis censé connaître mais dont en fait j’ignore tout ».
Je vous la fais courte : Aaron est un mec originaire de Californie qui, dès l’adolescence, est activement impliqué dans la scène punk indépendante américaine. Il a été batteur dans environ 8513 groupes, et connaît tous les membres de toutes les formations évoluant dans cette scène.
Et, en plus de ça, Aaron écrit depuis le début des années 80 un fanzine qui s’appelle Cometbus. D’où son surnom. Un zine qui a la particularité d’avoir été l’un des premiers à ne pas parler QUE de musique, mais à aussi dévoiler le quotidien de son auteur, ses interrogations, ses tourments personnels. Le tout généralement écrit à la main, puis mal photocopié à quelques dizaines d’exemplaires pour être vendu à la sortie des concerts, comme vingt millions d’autres zines dans l’histoire du punk-rock.
Sauf que dans le cas Cometbus, les choses ont tourné un peu différemment. Parce qu’Aaron écrit incroyablement bien. Parce que sa culture et son intelligence lui permettent d’avoir des points de vue intéressants sur certains sujets politiques ou sociétaux. Parce que sûrement d’autres raisons, j’en sais rien.
En tout cas, son fanzine est, avec le temps, devenu un incontournable, souvent cité par les connaisseurs lorsqu’il s’agit de choisir le meilleur zine qui existe, celui qui doit survivre à l’apocalypse. Depuis que je m’intéresse un peu à cette scène, c’est ce nom qui revient à chaque fois, généralement suivi par celui de Rad Party, un zine français qui a lui aussi marqué ses lecteurs. Mais restons-en à Cometbus pour aujourd’hui, s’il vous plaît.
Donc, bref, totalement par hasard, à la faveur d’un bouquin prêté sans que j’aie trop rien demandé, voilà qu’il y a deux trois semaines j’ai enfin eu l’occasion de combler un peu mes lacunes concernant cet incontournable.
J’ai pu comprendre pourquoi le type était si souvent cité. L’écriture est nette, précise, ultra travaillée. Ce n’est pas celle de l’auteur type de fanzine punk. Et puis en plus, outre la forme, il y a une profondeur dans les réflexions abordées, une capacité d’analyse, qui dépassent très, très, largement le cadre de la simple profession de foi, touchante et sans intérêt, que sont bien souvent les fanzines. Ce mec est un écrivain, quoi, c’est tout, pas la peine de développer mille ans.
Et c’est un écrivain qui, comme je le disais plus haut, a passé une bonne partie de son existence à écumer les recoins sombres de la scène punk californienne (il habite désormais à Brooklyn).
Or, d’où vient Green Day ? De Californie. Et qu’est-ce qu’ils jouent ? Du punk (cette deuxième réponse étant sujette à caution, je sais, ça va). Bingo, t’as compris tout seul.
Aaron et Green Day se connaissent depuis les tous débuts du groupe, auxquels Aaron a régulièrement participé en tant que roadie et simple pote. A l’époque, Green Day fait figure de figurant dans une scène saturée, et rien ne promet a priori ses membres au succès qu’ils allaient connaître. On est à la fin des années 80, ce sont encore des gosses, et ils sont comme tous les autres autour d’eux : pauvres, sales et pleins d’espoir.
La suite, tu la connais. Ils remplissent aujourd’hui le Stade de France, et j’imagine que tu ne t’es pas retrouvé ici complètement par hasard, donc ça va, je vais pas te faire la bio de Green Day, t’as l’idée générale, normalement : GROS groupe.
Entre le début et la fin de l’histoire, il y a eu, forcément, le milieu. Le succès qui gonfle, les «vrais punks » qui commencent à les rejeter, les potes qui s’éloignent ou qu’ils éloignent eux-mêmes, l’argent, les tournées mondiales…
Dans ce maelström (bel usage de ce mot, non ? Si. Bravo Vincent), Aaron a pris ses distances par rapport au groupe. Il a toujours été très attaché aux valeurs d’indépendance et de non-conformisme véhiculées par le punk, et il ne les retrouve plus dans ce que devient Green Day.
Les années passent, et les anciens amis n’en sont plus vraiment. Juste de vieilles connaissances qui ne se croisent plus que par le biais d’albums et de zines interposés.
Jusqu’à ce qu’en 2010, Green Day invite leur ancien pote, devenu lui aussi une star dans son milieu (on n’est quand même pas dans le même ordre de grandeur, hein), à les accompagner lors d’une énorme tournée organisée en Asie.
Aaron accepte, voyant là une occasion unique de 1) voyager gratuitement, et 2) renouer des liens abîmés par le temps, et voir ce qu’il en reste au bout de vingt ans de distance.
Le résultat, c’est ce numéro un peu spécial de Cometbus. Il s’agit ici beaucoup plus d’un livre « normal », un long reportage introspectif, peut-être, que d’une collection de colonnes à peu près indépendantes les unes des autres.
Il y est question d’amitié, d’intégrité, de ce qui change et de ce qui ne change pas. Il y est question de retrouvailles avec des gens qui sont à la fois des superstars internationales, et des potes avec lesquels Aaron a vécu et grandi. Il en profite pour regarder dans son rétroviseur personnel, et pour se demander si, finalement, le chemin qu’il a choisi est tellement plus défendable que celui que les membres de Green Day ont emprunté.
Aaron et les trois membres du groupe y apparaissent humains, pleins de contradictions et d’interrogations permanentes. Ils y apparaissent sympathiques, également, leur amitié ayant, au moins en partie, survécu au silence, à la distance, au temps et aux divergences.
Ce texte est l’occasion d’un retour en arrière, et d’un questionnement assez musclé sur l’intérêt réel, sur le plan individuel, des valeurs et codes du punk indépendant. Des valeurs qu’Aaron a toujours défendues bec et ongles, mais qui lui apparaissent, aux côtés de ces trois vieux potes, être une solution luxueuse, réservée à ceux qui peuvent se la permettre. Les membres de Green Day n’avaient pas de plan B, pas d’autre idée pour s’en sortir que de devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Il n’y a, à en croire le point de vue d’Aaron, plus de remise en question de ce point-là, de leur part. Ils assument ce qu’ils sont. Ce qui n’est pas toujours son cas à lui.
Si tu rajoutes à ces sujets déjà bien vénères de longues balades en Asie (le livre s’appelle «In China with Green Day ?!! », mais étrangement, aucun des concerts ici concernés ne se passe réellement en Chine), des réflexions politiques et des émotions compliquées esquissées en quelques mots précis, t’obtiens une putain de lecture pour quiconque s’intéresse un peu à ces questions.
Tout n’y est pas parfait, on reste parfois en manque de viande saignante, on nous parle de disputes et de réconciliation sans nous en donner les détails, mais même ça, ça participe du charme de ce livre, en nous rappelant que les gens dont il traite sont des personnes, pas des personnages, et qu’il n’est pas question ici de donner dans le ragot people.
A la fin de ma lecture mon intérêt pour Green Day s’est éveillé, pour la première fois de ma vie. Je suis en ce moment en train de lentement remonter leur discographie. Bientôt, il s’agira également de remonter le chemin littéraire parcouru par Aaron Cometbus. J’ai un peu hâte.
Le livre est dispo en anglais ici.
Fait rare pour un zine, il a également été (bien) traduit en français ; c’est d’ailleurs cette traduction que j’ai eue entre les mains. Tu peux trouver cette version ici, par exemple.
Je te laisse avec le clip de la chanson «Whatsername », qui n’a pas grand rapport avec ce texte, mais que j’aime bien.